À la rencontre de Simon Nicolas, communicant au service de la Rodia. On échange sur la réouverture des salles de concert et sous quelles conditions, les projets en cours, de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. Mais on retient beaucoup d’incertitudes.
Que pensez-vous des concerts-tests et du travail effectué autour de la culture pour prévoir un éventuel retour des concerts ?
C’est une bonne chose selon moi, toute tentative de dispositifs pour retrouver les salles de concerts est quelque chose de positif. Après, comment seront pratiqués les concerts-tests et quels en seront les résultats, c’est plutôt à long terme. Mais à Besançon, je ne vois pas où on pourrait faire ça, parce qu’il faut une grande salle pour mettre à peu près 1000 personnes. Ici, notre grande salle peut accueillir 1100 personnes debout normalement, mais avec les dispositifs sanitaires assez drastiques (dans le cas où c’était ouvert) on ne peut mettre que 200 personnes, donc assis avec le masque et le mètre de distance.
Mais je pense aussi que des concerts-tests il y en a eu quand on a rouvert de juin à octobre. Ce n’était pas appelé de cette manière mais la salle était ouverte avec ce protocole-là, et il n’y a aucun cas qui a été déclaré à la Rodia comme dans n’importe quelle autre salle de concert en France. Comme dans n’importe quel théâtre, n’importe quel musée, n’importe quel cinéma. Finalement les concerts tests sont déjà faits.
Mais il y a quand même une incompréhension de votre part concernant l’arrêt de votre activité ? Et plus généralement du monde culturel ?
Ce n’est pas vraiment une incompréhension, on se doute bien que les lieux fermés où il y a du brassage sont potentiellement des zones où le virus peut circuler, personne ne le remet en cause. Sauf qu’on nous a demandé, depuis la réouverture au mois de juin, un lourd protocole, très compliqué, que ce soit économiquement ou côté organisation, avec des temps de production et de programmation très réduits alors qu’on a plutôt tendance à travailler à long terme.
Le souci est plutôt quand on rouvre des lieux de cultes, et non des lieux de culture. On pense que les séquelles psychologiques du COVID seront visibles à long terme : les gens qui sont actuellement chez eux, qui ne peuvent pas sortir. Je pense par exemple aux étudiants qui viennent de l’étranger et qui habitent dans une chambre de 9m2 au CROUS. La journée, ils travaillent sur leur cours en visio, et le soir ne peuvent avoir aucun contact avec les autres. Je pense que ça va créer des séquelles vraiment profondes dans le temps, et que ce facteur psychologique n’est absolument pas pris en compte actuellement. Peut-être qu’en assouplissant certaines choses concernant les lieux de culture, pas nécessairement les salles de concerts mais au moins les musées et les cinémas, ça pourrait être la soupape qui permettrait aux gens de supporter un peu mieux cette situation. Je regrette que le facteur psychologique soit aussi peu pris en compte.
Alors, on commence à en parler de plus en plus et tant mieux. À titre personnel j’en souffre forcément. Mais nous, professionnels de la culture, on fait notre métier pour le public à la base, pas pour nous, et clairement il y a, de notre point de vue, une incompréhension de notre métier.
Les Victoires de la Musique ont fait polémique à cause du « public » que l’on voyait à l’écran.
Ce public n’était composé que de professionnels, payés. Pour moi c’est de la polémique stérile et je trouve dommage que ce soit ce qu’on retienne. Ce que je retiens moi, ce sont des artistes féminines qui dénoncent des choses, que les mentalités sont en train de changer dans la société mais aussi dans la musique. Quand je vois une artiste comme Yseult qui met son corps et la couleur de sa peau en avant pour revendiquer quelque chose, je trouve ça nettement plus intéressant. Il y a plus de choses à en tirer.
Est-ce qu’on peut espérer que les autres services proposés, qui entourent toute l’expérience concert, comme les vestiaires, le bar, seront de retour en même temps que les concerts ?
Il faudra sûrement s’attendre à des changements, en tout cas au début. Actuellement on se projette toujours à six mois. Le mot d’ordre actuel c’est qu’on rouvrira en septembre, parce qu’on est en février, il y a six mois on disait qu’on ouvrirait en février ou mars. On s’est retrouvé en janvier, on savait que c’était cuit puisque actuellement on annule les événements d’avril. Après, si on nous le permet, on pourra peut-être organiser des événements en extérieur, ce sera plus simple. On s’adapte sans cesse puisque le gouvernement avance au jour le jour, mais nous on ne peut pas.
Pour Détonation, qui se tient en septembre, la programmation est déjà bouclée à 50%, et en fonction des annonces, on adaptera le déroulement, si c’est assis, avec ou sans La Friche (scène électro). Les configurations techniques sont incertaines et pèsent sur le budget, sur les cachets, sur le nombre de techniciens nécessaire. C’est de l’équilibrisme, parce qu’habituellement les prévisions budgétaires restent proches de la réalité. On essaie d’étudier différents scénarios.
(Depuis cette conversation, le gouvernement a annoncé que les festivals auraient lieu, mais limités à 5 000 spectateurs assis, ndlr)
Vous avez rouvert juste avant l’été, jusqu’au début de l’automne, est-ce économiquement viable pour vous de le faire dans ses conditions là ?
Évidemment que non, en 2020 on a accueilli 10 865 personnes, alors que normalement on en accueille entre 38 et 40 000 par an. Alors il y a eu le premier confinement, le deuxième, le couvre-feu, la fermeture des lieux, donc économiquement c’est impossible à tenir. Mais la Rodia ne va pas fermer, on le sait, puisque c’est une structure subventionnée par l’Etat, et que ses subventions ont été maintenues. Sauf que la Rodia est un lieu catalyseur pour de nombreux autres corps de métiers qui travaillent dans la culture : les techniciens, les gens qui s’occupent de la sécurité, le catering, les artistes… qui souffrent économiquement (mais pas que) de ne plus avoir d’activité à la Rodia.
Pour un éventuel retour, pensez-vous que le public reviendra facilement ? On imagine qu’un public jeune est moins méfiant ou inquiet face au virus qu’un public plus âgé ?
À vrai dire on ne sait pas, on a fait quelques études au printemps dernier (qui n’ont pas de valeur scientifique puisque c’était sur un très petit échantillonnage de public) pour sentir les tendances. On sait que notre public le plus fidèle, notre cœur de public reviendra sans soucis. Mais le grand public on ne sait pas, et personne ne sait. On sent quand même que les gens sont en manque de culture, on est persuadé qu’on a quand même une petite utilité et qu’on participe à quelque chose donc on sait que ça va fonctionner. D’une autre part, comme les concerts sont reportés ou annulés depuis près d’un an, y compris toutes les productions où on avait déjà vendu plusieurs centaines de places. Donc le planning de programmation, ,quand on va rouvrir, sera hyper dense, avec par exemple trois concerts par semaine.
Est-ce que le public est prêt économiquement pour ça ? Est-ce qu’il a le temps ? Je n’en suis pas certain. On sait que notre cœur de public reviendra, mais de quelle façon, c’est vraiment flou. On ne sait déjà même pas quand on va rouvrir, donc on ne sait pas quand on peut reporter.
Du côté des artistes, pensez-vous que certains aussi n’auraient pas envie, par peur ou par conviction, de remonter sur scène ?
Comme on ne sait pas dans quelles conditions ce sera, c’est compliqué de s’avancer, mais il y a des esthétiques musicales qui ne conviennent pas au protocole assis, masqués, distanciés. Je pense à tout ce qui est musique électro, les musiques « extrêmes », ça ne colle pas du tout artistiquement avec ce protocole. Alors faut-il faire jouer les artistes quoi qu’il en coûte dans ces conditions ? En tout cas, c’est artistiquement compliqué de défendre quelque chose où le public a besoin de bouger et de danser. Et puis les artistes jouent beaucoup sur les réactions des gens, ils se regardent, se sourient, il se passe quelque chose, il y a une communion. Le public masqué pose aussi ce problème et quand on est assis, on sait pertinemment qu’on vit moins les choses.
On prend ce temps pour retravailler sur le fond, il faudra accueillir le public dans les meilleures conditions
Simon Nicolas, communicant à la Rodia
Qu’est devenue la Rodia pendant cette période ?
Nous avons toujours du contact avec les artistes puisque la Rodia est toujours un lieu de résidence depuis la fermeture. On les a fortifiés : des artistes sont présents tous les jours pour travailler ici, qu’on paie, par l’accueil, les techniciens, les cachets etc. Actuellement, notre budget il passe là. On va aussi faire des concerts dans des écoles par exemple, on a réadapté notre activité aussi par rapport aux conférences, qu’on faisait avant en médiathèque, et maintenant en podcast.
On arrive à s’adapter au protocole existant, mais ça ne fait pas tout, ce n’est pas l’ADN de ce qu’on fait.
Vous travaillez encore tous sur place ?
Seul les barmans et les vacataires d’accueil sont au chômage partiel. Après on profite de ces temps pour réfléchir à notre façon de travailler. Par exemple en ce moment, on est en train de faire un bilan carbone, pour essayer de réduire notre empreinte et par quel biais, parce qu’on est une activité relativement énergivore donc comprendre ce qui pollue le plus, même si on a des idées. On a aussi refait tout le bar avec un artiste, aussi le son et les lumières. On travaille aussi sur le site internet. On prend ce temps pour retravailler sur le fond, et c’est bien parce qu’il faudra accueillir le public dans les meilleures conditions possibles, encore faut-il accueillir du public un jour.
Je peux parfaitement comprendre la responsabilité de la gouvernance par rapport au rythme de propagation du virus, leur but n’est pas d’anéantir la culture évidemment, les fonds déployés pour la culture n’ont jamais été aussi important qu’actuellement.
Mais ça devient long, très long, et ce n’est pas encore fini.