Une proposition de loi déposée pour lutter contre une précarité en hausse
En décembre dernier, la députée Fatiha Keloua-Hachi (NUPES) a déposé une proposition de loi pour accorder le repas au Crous à 1 € à tous les étudiants. Le projet de loi dressait le constat d’une augmentation de la précarité étudiante et d’un chiffre édifiant : « En 2020, 43 % des étudiants ont renoncé à un repas dans la journée pour des raisons financières », écrit la députée en introduction du rapport. Mais en première lecture le 9 février dernier, 184 députés se sont prononcés contre l’adoption du texte, alors que 183 y étaient favorables.
« Opposer le principe d’égalité à celui d’équité »
Sur les cinq députés du département du Doubs, deux étaient présents dans l’hémicycle le jour du vote et ont voté contre l’adoption de cette mesure. Pour eux, il est important de ne pas confondre les principes d’égalité et d’équité. « Je ne peux pas accepter qu’on dépense des millions d’euros pour des gamins qui sont soutenus par les parents, avec des parents qui ont les moyens de les soutenir », explique Laurent Croizier, député Modem de la 1ʳᵉ circonscription du Doubs.
« Il faut faire attention à tous ces systèmes de gratuité ou de prix modérés égalitaristes », estime de son côté Éric Alauzet, député Renaissance de la 2ème circonscription du département. « Ils font non seulement perdre la valeur des choses, mais font penser que chacun peut finalement avoir accès à tout, n’importe quand, n’importe comment, et je ne pense pas que ce soit un bon signal pour notre société », poursuit le député. « Les moyens publics doivent être concentrés sur celles et ceux qui en ont le plus besoin. C’est pour ça que l’on préfère le cibler sur les boursiers, sur les précaires. Après, on pourrait débattre et essayer de voir si on pourrait attribuer ce repas à 1 € à plus d’étudiants ».
Aujourd’hui, selon la proposition de loi, 38 % des étudiants en France touchent une bourse ; 40 % sur l’académie de Besançon, selon Éric Alauzet. « Donc il y a quand même presque un étudiant sur deux qui bénéficie déjà de ce repas à 1 €, sans compter les étudiants précaires et non boursiers », poursuit-il, qui sont aussi éligibles au repas à 1 €.
Un coût supplémentaire de 40 à 50 millions d’euros par an ou une dégradation de la qualité
Selon Laurent Croizier, le coût du dispositif actuel a été chiffré entre 40 et 50 millions d’euros par an. « Si on élargissait à tous les étudiants, ça coûterait, a minima, 90 millions d’euros, voire plus, car on serait probablement obligés de mettre en place dans les Crous un deuxième service, donc du personnel en plus », détaille Laurent Croizier, qui précise préférer investir la différence pour les étudiants vraiment précaires.
La puissance publique ne peut pas toujours aligner les millions ou les milliards
Eric Alauzet, député Renaissance de la 2ème circonscription du département
« La puissance publique ne peut pas toujours aligner les millions ou les milliards car derrière, ce sont nos impôts. Il y a de l’argent public », estime de son côté Éric Alauzet, qui dessine également un autre scénario pour limiter les dépenses. « Si on ne paye plus les repas, il ne faut pas se faire d’illusion : l’État ne pourra pas tout prendre à sa charge. Derrière, c’est la qualité qui se dégrade, malgré les bonnes intentions ».
Un repas à 1 € déjà disponible aux étudiants précaires, boursiers ou non
Pour autant, Laurent Croizier se dit tout à fait conscient des difficultés des étudiants. « J’ai parfaitement conscience que certains étudiants, même non boursiers, puissent être en situation de précarité. Et quand on est en précarité, on doit pouvoir être aidé, et je ne vais pas lâcher ce sujet », assure-t-il avant d’expliquer qu’il a entamé les démarches pour vérifier qu’un étudiant non-boursier mais en situation de précarité bénéficie bien de la tarification à 1 €. Le député a, en effet, adressé une lettre le 14 février à la directrice du Crous Bourgogne Franche-Comté, Christine Le Noan, pour s’assurer de la mise en place de ce dispositif dans notre région. Au téléphone, elle lui a assuré que c’était bien le cas.
En théorie, les étudiants non-boursiers mais précaires doivent en effet bénéficier aujourd’hui du repas à 1 €, au même titre que les boursiers. Mais les démarches semblent compliquées, et nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre dossier consacré au rejet de cette mesure.
De son côté, Éric Alauzet précise que c’est bien Emmanuel Macron qui a mis en place cette mesure. « Pour les boursiers, et les précaires », insiste le député. « Certains qui critiquent ont été au pouvoir avant et ne l’ont pas fait. Nous, si », argue-t-il, avant de préciser que c’est également sa majorité qui a mis en place le repas à 1 € pour tous lors de la crise sanitaire.
3,30 € ou 1 €, des tarifications déjà sociales
Éric Alauzet le rappelle, des « efforts importants » sont déjà faits pour l’intégralité des étudiants, qui bénéficient du repas au Crous. « Chaque fois que vous allez manger au RU une fois, la collectivité/l’État prend en charge environ 6 €. Je pense qu’il est très important qu’on explique la vraie valeur des choses, simplement pour qu’on se rende compte qu’on a la chance de vivre en France », explique de son côté Laurent Croizier.
À ce jour, le repas au Crous coûte 1 € pour les étudiants boursiers et précaires et 3,30 € pour les autres étudiants.
Un débat de plus en plus difficile
Après la publication de la décision, de nombreux députés et associations ont publié sur les réseaux sociaux la liste des 184 députés ayant voté contre cette proposition de loi. Éric Alauzet et Laurent Croizier assument leur vote, mais regrettent le principe simplification des débats. « C’est bien plus complexe que de dire ‘On ne veut pas le repas pour tous à 1€’ », explique Laurent Croizier. « Dans l’hémicycle, personne n’est actuellement en majorité. On n’a pas d’autres choix que de faire des compromis, donc les conditions de débat sont très importantes : soit vous créez les conditions du dialogue, soit vous créez les conditions de l’affrontement », synthétise le député, qui affirme avoir ensuite reçu des menaces de guillotine sur les réseaux sociaux.
De son côté, Éric Alauzet dénonce « un état d’esprit malsain« . « Ça s’inscrit dans cette évolution un peu négative de la société qui est de jeter les gens en pâture. Parfois même d’appeler à la violence. Et puis il y a aussi de la fausse information, ou des informations triturées : quand on dit ‘Ils n’ont pas voté la mesure du repas à 1€ pour tous les étudiants’, les gens ne savent pas qu’il existe déjà la mesure pour les étudiants précaires. Ce sont des non-dits qui cachent une manipulation à destination des gens qui n’ont pas d’information. Et au final, ce sont les extrêmes qui en tirent les profits », conclut-il avant de repartir dans l’hémicycle.