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Université

#EtudiantsSansMaster : entre licences surdimensionnées, manque de place en master et sélection obscure

Depuis quelques jours émergent sur Twitter des témoignages d'étudiants qui ont obtenu leur licence, mais qui n'ont pas de place en master à la rentrée. Sélection naturelle pour certains, manque de places ou de considération pour d'autres, tour d'horizon de cette problématique qui ne date pas d'hier.


Hugo Petitjean et Louise Jeannin
Le 9 juillet 2021 à 16h26, mis à jour le 23 février 2022 à 16h14

« Me voilà après une Licence de Droit avec mention, 3 stages de plusieurs semaines, 1 CDI en parallèle de mes études, sans master. Merci le gouvernement et surtout à notre merveilleuse Frédérique Vidal qui représente si bien les étudiants français [ironie] ».

Des propos comme ceux-ci, Twitter en fourmille depuis quelques jours.

https://twitter.com/aiiixela/status/1413092142789152773

Ils s’appellent Barbara, Anthony, Juliette, Nathan, Sophia, et vivent une période compliquée. Ils viennent tous de terminer une licence et souhaiteraient poursuivre leurs études en master. Mais par manque de place la plupart du temps, beaucoup essuient des refus d’admission, au point de se retrouver sans aucune poursuite d’études à la rentrée prochaine. Plusieurs disciplines sont touchées, notamment le droit et la psychologie.

« À la fac on ne prend que les meilleurs »

Ce qui m’énerve, c’est qu’officiellement, j’ai ma licence, donc je ne comprends pas » déplore Anthony jeune diplômé d’une licence Économie-Gestion. Les places à la fac sont chères, c’est indéniable. Trop de monde en licence pour trop peu de places en master. Ça, Anthony l’a bien compris. Dans le master Gestion des Ressources Humaines qu’il souhaite intégrer à Besançon, il n’y a que 12 places. Anthony souhaite travailler dans le commerce ou le management. Il a postulé trois masters : deux à Besançon et un à Belfort. Sur les trois, c’est un refus et deux sur des listes d’attente interminables.

« C’est comme un employeur qui vous dit qu’il ne peut pas vous prendre parce que vous n’avez pas assez d’expérience. Finalement à la fac, on ne prend que les meilleurs aussi »

Anthony, jeune diplômé d’une licence Économie-Gestion

Si les derniers espoirs sont ruinés, Anthony partira du côté des boîtes d’intérim ou dans la grande distribution. Arrêter ses études pour se lancer dans le grand bain du monde du travail. Beaucoup y pensent.

« J’ai l’impression qu’on nous donne un peu des fausses excuses »

Après une prépa BCPST (Classe préparatoire Biologie, Chimie, Physique et Sciences de la Terre), Juliette opte pour une licence Bio Chimie Biologie Cellulaire Physiologie au lycée Victor Hugo à Besançon. Pas un premier choix, mais elle se conforte en se disant qu’ainsi, elle obtiendra des bases par la suite.

Un premier semestre validé avec la timide moyenne de 10,70 et un second à 12,5. Elle candidate à une quinzaine de masters. Malheureusement, elle ne récolte que des refus. Les causes évoquées : « Parcours incompatible ». Pourtant, il n’existe pas de licence avec la mention Environnement. Le dossier de Juliette est aussi refusé pour « qualité académique insuffisante », en partie parce que Juliette n’a pas pu donner à temps son deuxième relevé de notes.

« J’ai l’impression qu’on nous donne un peu des fausses excuses ». La jeune femme est bien décidée à tout faire pour parvenir à travailler dans la botanique (l’étude des plantes, NDLR). Malgré les refus en master et en licence pro, Juliette pense au CFA. Pourquoi ne pas choisir un BTS Gestion et Protection de la Nature ? Un moyen de se professionnaliser, d’entrer « directement » dans le monde du travail. Elle garde également un espoir pour une L3 mention SVT à Marseille…

Le souci, selon Juliette, c’est le système en lui-même. « Je suis déçue qu’on ne puisse pas se rencontrer en vrai » déplore-t-elle. Elle le conçoit, il y a beaucoup de candidats et les personnes qui recrutent n’ont pas toujours le temps de s’attarder. Mais un échange pour défendre ses motivations peut sûrement faire toute la différence. « Le système actuel fait qu’on ne peut pas avoir de recrutement humain » assure Juliette.

29 candidatures, 26 refus et 3 vœux en attente

À l’échelle nationale, la situation est similaire. « J’ai fait 29 candidatures en M1 droit notarial dans toutes les facs qui en proposaient. Le droit notarial, c’est vraiment ce qui m’intéresse et je sais que je veux faire ça depuis très longtemps », explique Nathan, qui vient de terminer une licence de droit privé à Bordeaux. Mais sur ses 29 candidatures, seules trois sont encore en attente d’une réponse. Les autres ont été refusées. « Dossier ou acquis insuffisant(s) par rapport aux autres candidatures » ou « Capacité d’accueil atteinte » sont souvent les justifications qui sont apportées par les établissements.

Une situation que ne comprend pas vraiment l’étudiant. « J’ai eu ma licence à 11, ce qui n’est pas excellent, mais pas trop médiocre non plus ». N’ayant jamais redoublé et jamais été au rattrapage, Nathan s’attendait à de meilleurs résultats. « Mon projet professionnel est établi depuis longtemps, point sur lequel j’ai insisté dans ma lettre de motivation, mais je ne suis même pas sûr qu’elle ait été vraiment lue ».

Pour 26 candidatures, les réponses ont été négatives / © DR

« J’avais conscience que ça allait être sélectif, mais je pensais que malgré les notes, ils tiendraient compte de mes stages, de ma motivation et de la précision de mon projet professionnel », regrette Nathan, avant de préciser qu’à Nancy, le M1 Droit notarial a reçu plus de 987 dossiers pour seulement une vingtaine de places.

Touché, mais pas coulé, il compte cependant adresser des lettres aux directeurs de masters si tous refusent sa candidature : c’est ce qu’on appelle le recours gracieux.

Un recours qui parfois fonctionne

Grâce à ce dernier, certains étudiants ont tout de même réussi à trouver un master après leur trois années de supérieur. C’est le cas de Sophia, étudiante en droit.

« J’avais fait huit demandes en master et avais postulé dans ma fac d’origine : Rouen. Je misais clairement tout dessus », raconte-t-elle. « Coup de massue » quand elle reçoit le 23 juin à 1 h du matin trois refus de son université d’origine.

« J’étais acceptée au Havre. Financièrement parlant, je ne pouvais pas déménager. Il aurait fallu que je prenne le train chaque jour sur un trajet d’une heure. Mais j’étais déjà très heureuse d’être acceptée, quand je vois l’injustice de cette sélection », explique Sophia.

Elle décide toute de même d’envoyer un recours gracieux aux trois responsables de master de son université pour expliquer sa situation. « C’était vraiment ma dernière chance d’obtenir ce que je voulais », se souvient-elle. Pour aller plus loin et saisir le recteur, il faut en effet essuyer 100% de refus, ce qui n’était pas son cas. « Je suis sortie du formalisme auquel on nous habitue en droit. J’ai expliqué mes difficultés financières et l’impossibilité de déménager au Havre, que j’étais très motivée à rejoindre et réussir leur Master. J’ai également expliqué que ça me paraissait injuste de recevoir un refus pour notes insuffisante alors que je n’ai jamais eu en dessous de 13 en droit public. »

Des efforts qui payeront, puisque Sophia recevra quelques jours plus tard une réponse positive de son université rouennaise pour intégrer le master dont elle rêvait. « Moralité de l’histoire : faites des recours gracieux, ça peut marcher même quand vous n’y croyez plus », tweetera la jeune étudiante. Une sorte d’encouragement pour ses collègues encore en difficulté.

La dernière chance : le recours face au tribunal administratif

Après un recours gracieux et une saisine du recteur inefficaces, la dernière solution est de se rapprocher de la justice. Les recours contre la sélection obscure des masters, Maître Florent Verdier, avocat en droit public à Bordeaux, en a fait une de ses spécialités.

« Dossiers insuffisants et Capacité d’accueil atteinte sont les motifs que l’on retrouve. Dans les deux cas on ne sait pas sur quels critères reposent ces considérations, à quoi correspond un niveau suffisant et pourquoi on ne rentre pas dans la capacité d’accueil. Très souvent, on ne sait pas non plus à combien a été fixée cette capacité d’accueil. La carence dans la diffusion des informations est manifeste », explique Florent Verdier.

La « sélection illégale », c’est le nerf de la guerre. Son rôle, c’est d’aider les étudiants à l’identifier et à la faire valoir devant la justice. « Les universités publiques peuvent mettre en place un processus restrictif d’admission si elles fixent en interne, au préalable, les règles de celle-ci, et qu’elles mettent à disposition du public toutes les informations qui résultent de ces règles », poursuit Maître Verdier. Mais très souvent, il est compliqué, voire impossible, de trouver ces informations.

Lorsque Florent Verdier juge la sélection illégale, il dépose un recours devant le tribunal administratif. « Un refus d’admission en Master est une décision administrative qui peut faire l’objet de recours gracieux et contentieux. La solution pratique selon moi pour trouver une réponse rapide est le recours en référé-suspension ». Cette procédure d’urgence permet de saisir rapidement le juge du tribunal administratif afin qu’il empêche provisoirement l’exécution d’une décision administrative. Il pourra ensuite juger l’affaire de manière plus profonde, et donner son verdict : maintenir la suspension de la décision ou juger la décision légale et l’autoriser.

Selon Maître Verdier, plusieurs filières du supérieur sont touchées par ces sélections illégales. Mais la quasi-totalité des dossiers qu’il traite concernent le droit et la psychologie. Vendredi dernier, l’avocat a d’ailleurs déposé une requête devant le tribunal administratif de Besançon pour le refus en master d’une étudiante en psychologie.

« Je suis un avocat contre les excès de pouvoir. Dans ce domaine existe cette problématique de la sélection en Master. Cela fait presque 10 ans que je m’y consacre et que ma compétence dans le domaine est reconnue », conclut Florent Verdier. « À ce jour, je peux dire que j’ai déjà gagné plusieurs centaines de procès à ce sujet, environ 50 par an. Ce qui reste très peu par rapport au nombre global d’étudiant sans Master ».

Une pétition en ligne lancée par deux étudiants

Pour beaucoup d’étudiants, il est urgent de définir des « critères de sélections transparents » et de lancer une plateforme identique à Parcoursup pour l’accès aux masters, pour mettre à disposition notamment un système de liste d’attente.

« Nous sommes de bons étudiants, nous avons eu des mentions et pourtant, nous n’avons aucun master », écrivent deux étudiants dans une pétition adressée directement à Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur. Cette dernière a déjà récolté plus de 2600 signatures.

D’autres parts, des comptes de soutien aux étudiants émergent sur les réseaux sociaux, comme le compte Etudiants en Confinement qui affirme avoir reçu une bonne centaine de témoignages d’étudiants dans la galère pour l’année prochaine. Des propos qu’ils s’empressent de partager pour faire prendre conscience que les travailleurs de demain font face à de grosses difficultés.

Une baisse des places en master liée au décrochage scolaire

Du côté de l’Université de Franche-Comté, « tout est mis en œuvre pour accueillir tous les étudiants qui le souhaiteraient dans le cursus, le domaine et la formation qu’ils ont choisis ». Mais les conditions sanitaires de cette année écoulée ont pu rendre la situation un peu plus compliquée à cause du décrochage. « La situation de crise sanitaire a eu pour effet le décrochage de certains de nos étudiants en Master, cette situation peut aussi avoir un impact à considérer », précise Mathilde Dehestru, directrice-adjointe à la communication de l’Université de Franche-Comté. En effet, les places libérées d’habitude par les étudiants passant en deuxième année de master seront probablement moins nombreuses en raison de quelques redoublements.

L’Université souligne également la « tendance générale de croissance d’étudiants en licence poursuivant en master », alors que les masters n’augmentent quasiment pas leur capacité d’accueil d’année en année (le ministère de l’Enseignement Supérieur annonce l’ouverture d’entre 3000 et 4000 places en master prochainement, c’est inédit). « Cela explique pour partie le fait que, comme chaque année, des étudiants diplômés en licence ne sont pas admis en master ».

Un problème de sélection dès la première année

Pour certains membres du corps enseignant, la situation est plutôt logique. « Certes, on pourrait se dire qu’il n’y a pas assez de places en master. Mais admettons même qu’on double le nombre de places dans toutes les filières, il y aurait toujours une sélection drastique », analyse un professeur de lycée.

« La sélection est presque absente en L1 et ça me semble déjà un problème », poursuit-il. Pour preuve, à Besançon, les places proposées en licence sont en moyenne cinq fois plus élevées que les places en masters dans le même domaine.

FilièrePlaces prévisionnelles en licence
(pour la rentrée 2021)
Places en master
(pour la rentrée 2020)
Droit350128
(tous master de droit confondus)
Psychologie32573
STAPS42070
Information-communication9029
Langues Etrangères Appliquées19419
Sociologie14025
Philosophie8040

Entre 2020 et 2021, le nombre de places proposées dans chaque master n’a presque pas évolué. Il est resté strictement identique, notamment pour les masters de droit, de psychologie et de STAPS.

LicenceNombre de demandes sur Parcoursup en première phase pour la rentrée 2020Places disponibles pour la rentrée 2020
STAPS3020420
Droit1801365
Information-communication110190
Mathématiques67257
Psychologie2330325
Sociologie851140
Langues Etrangères Appliquées948194

« Les meilleures places pour les meilleurs »

« Faire des études ne me semble pas n’être qu’un droit. J’ai parfois l’impression qu’on vit dans un monde où tout devrait être un dû. La notion de mérite me semble parfois totalement disparaître », conclut le professeur.

« Le monde est comme ça. Les meilleures places pour les meilleurs. Et ça ne me choque pas de le dire »

Un professeur d’enseignement secondaire


Hugo Petitjean et Louise Jeannin

HISTORIQUE

Dans un but de transparence, vous pouvez consulter la liste de toutes les modifications apportées à l'article depuis sa publication :

  • 09/07 - 22h : ajout de la réaction de l'université
  • 10/07 - 09h : ajout du nombre de places supplémentaires en master annoncé par le ministère de l'Enseignement Supérieur pour les rentrées à venir
  • 10/07 - 20h : suppression du paragraphe de désistement et ajout de la réaction d'un professeur de l'enseignement secondaire
  • 12/07 - 22h : ajout des chiffres Parcoursup 2020
  • 13/07 - 10h : ajout de l'éclairage d'un avocat spécialisé
  • 13/07 - 11h : mise à jour du nombre de signatures pour la pétition

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