Terrifier 3 de Damien Leone – en salle depuis le 9 octobre – n’a qu’à bien se tenir. Vous
pensez réellement avoir connu le summum de l’effroi ? Éviscération, trépanation,
torture en tout genre ne sont qu’amour et caresses sur l’échelle de l’épouvante. Art le
clown n’est qu’un vulgaire outrancier.
Une horreur qui naît du doute
L’horreur – la vraie – est celle qui remet en cause vos certitudes les plus élémentaires. Elle remet en question vos moindres faits et gestes, votre nature environnante. Platon au IVème siècle avant notre ère – dans son allégorie de la caverne – s’interrogeait déjà sur la véritable nature de nos impressions. Ces quelques humains enchainés, ne voyant défiler que des ombres créent leur propre réalité dans le champ limité de leurs perceptions. René Descartes et son célèbre “ Cogito ergo sum “ ( je pense donc je suis ) fera de la conscience sa seule véritable certitude. Le corps n’est plus qu’une simple enveloppe charnelle. C’est l’école du doute, tout ce qui nous entoure ne serait que de pures projections de l’esprit, illusions. Le philosophe suédois Nick Bostrom ira même jusqu’à affirmer en 2001 dans son hypothèse de la simulation que la probabilité pour que l’humanité vive dans une réalité simulée informatiquement était plus que probable pour ne pas dire quasi certaine. Entendez-donc, les pires supplices, les souffrances indicibles que vous pourriez subir ne seraient que quelques lignes de codes d’un vaste programme informatique infini. Des facs-similés infini dans un plan d’existence supérieur présentes dans une série de simulations de notre réalité simulée en un même temps. Léger vertige…
“Ta masse d’opprimés et de parias, n’est qu’une abstraction. Seuls les individus
existent, si tant est que quelqu’un existe”
Jorge Luis Borges, Le livre de sable, 1975
Un auteur préventif, instructif et imaginatif
Jorge Luis Borges, écrivain argentin du XXème siècle repris ces réflexions dans ses recueils de nouvelles fantastiques. Dans Fictions paru en 1944 plusieurs de ses récits explorent ces thématiques ontologiques – relatives à l’être – de l’infini, du temps ; des circuits de pensées labyrinthiques qui perdent leurs lecteurs dans les bas-fonds de la folie. L’auteur n’est pas un simple écrivain, il est un fin intellectuel, maître de la philosophie, de l’histoire, des cultures anciennes. Un humaniste au sens strict du terme. Ses écrits sont d’une grande précision et parviennent à recréer des univers entiers de fond en comble. Borges réinvente la physique, le langage, les systèmes de pensée tout entier comme dans Tlön, Uqbar, Orbis Tertius. Il explore savamment les rapports entre réalité et fiction en les confrontant à la manière d’une guerre entre deux mondes. Le rêve contre la réalité, l’irrationnel contre le raisonnable. Si nous devions tracer une droite de la réalité, Borges serait au centre droit – non pas politiquement bien entendu – dans un espace où la réalité et la fiction sont si étroitement liées qu’il en devient difficile de les distinguer. Edgar Allan Poe, écrivain américain du XIXème siècle servirait de garde frontière entre les deux en se focalisant sur le domaine de l’extraordinaire plausible mais peu probable. Dans Les ruines circulaires un curieux personnage a pour dessein de communiquer avec des fantômes à proximité d’un temple magique. Année après année, il les façonne, les construit de toute pièce chaque nuit au point d’en faire des personnages à part entière. Il les éduque, les civilise, les humanise. Il en fait des pures créatures de l’esprit allant jusqu’à leur apprendre à oublier leur propre nature. Ces golems oniriques n’ont plus conscience de ne pas être. Ils sont une simple création de l’esprit, leurs faits et gestes soumis au bon vouloir de leur créateur. Nous avons vu avec Bostrom l’hypothèse d’une réalité dépendant d’une simulation informatique ; dormez en paix désormais en sachant que vous ne pourriez être qu’une projection d’un esprit supérieur. Appelez le destin, démiurge, chance, qu’importe. Il pourrait potentiellement régir le moindre de vos mouvements et décider de votre sort, de vos choix à tout moment.
Modestie et remise en question
Ainsi, vous n’auriez plus aucun libre arbitre. Tous vos efforts et vos sacrifices n’auraient servi à rien. Tout comme votre crédit immobilier ou ces objets qui vous entourent. Tout ne serait que chimères, nuages de fumées ou lignes de codes. L’horreur, la vraie c’est celle qui peut mettre fin ou disposer de votre existence à sa convenance. Celle qui nie et qui trompe, qui dépasse notre entendement. L’horreur – enfin – qui rend humble. L’hérétique catholique gnostique prétendait connaître les choses divines. L’homme du XXIème siècle prétend tout expliquer, tout rationaliser en oubliant que son esprit est limité. Son champ imaginatif n’est pas infini, certaines choses lui échappent et ne pourront jamais être modélisées. En acceptant l’existence de ce domaine qui échappe à l’esprit, nous gagnerions en modestie. Nul ne peut ignorer le fait même qu’il doit ignorer pour mieux se porter.
« Parfois des horreurs d’une nature plus noire, plus effrayante, s’introduisaient dans
mon esprit, et ébranlaient les dernières profondeurs de mon âme par la simple
hypothèse de leur possibilité »
Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, 1857
Morgan Bos